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Félix Leclerc disait que «le cri qui fera peur à tout
le monde», c'est de la Gaspésie qu'il viendra. Le
ralliement gaspésien et madelinot qui a regroupe'
7 500 personnes à Chandler le 26 mai dernier doit
déjà donner la frousse et la trouille aux politiciens
de la région. Le manifeste lancé à cette occasion est
ici reproduit intégralement (Les sous-titres sont de
nous).
Manifeste
gaspésien et madelinot
Les 110 000 Gaspésiens, Gaspésiennes, Madelinots, Ma-
deliniennes veulent leur place au soleil, se développer, être
heureux dans leur propre pays. Aussi avons-nous décidé qu'il
fallait que les choses changent. C'est pour cela que nous
sommes ici aujourd'hui et que nous crions solidairement réunis:
c'est assez, ça va faire.
Nous en avons assez
Nous en avons assez du vidage de notre région et de la
fermeture tranquille de nos paroisses.
Nous en avons assez de la 10/42 comme seule politique
durable d'emploi.
Nous en avons assez de cette pauvreté dont on nous rend
coupables en nous faisant l'aumône des miettes du Bien-Être
social et du chômage, comme s'il s'agissait de subventions
honteuses. Nous refusons cette mentalité qui nous cloue à l'i-
nactivité et au silence.
Nous en avons assez de cette image folklorique du pauvre
pêcheur péchant dans sa barge devant le rocher Percé comme
seul reflet de notre réalité.
Nous en avons assez des politiques de centralisation où
nous sommes toujours perdants parce que toujours trop loin.
Nous en avons assez du pillage de nos ressources natu-
relles.
Nous en avons assez des multiples coupures dans les
services publics (le train, la télévision, les bureaux de poste, les
bureaux gouvernementaux...)
Nous en avons assez du sous-emploi et du mal-développe-
ment.
Nous en avons assez de ces programmes gouvernemen-
taux où nous ne cadrons jamais parce que nous sommes diffé-
rents de ce qui a été pensé à Québec ou à Ottawa par des
ignorants de nos réalités.
Nous en avons assez de tous ces: «Vous auriez dû faire
ceci, cela, vous auriez dû être autrement.»
Nous en avons assez de ces normes de la ville imposées à
notre région rurale.
Nous disons NON
Nous disons NON à ce modèle de développement qui nous
arrache la meilleure partie de nos ressources au profit financier
de l'extérieur.
Nous disons NON à l'attentisme qui ne conduit qu'à la
paix et au silence des cimetières.
Nous disons NON à ces tactiques des gouvernements qui
reportent toujours les échéances de notre développement et
empêchent la prise en charge.
Nous disons NON aux solutions miracles qui arriveront
demain, c'est promis attendez, et qui n'arrivent jamais parce
qu'il n'y a pas de miracle à attendre.
Nous disons NON aux coupures, aux amputations, aux
arrachages que l'on déguise sous le vocable de rationalisation,
normalisation, planification.
Nous disons NON à l'acceptation passive d'un étouffe-
ment lent.
Oui il y en a des raisons
Toutes ces situations ont des raisons.
OUI il y a en a des raisons à la pauvreté, au chômage, à la
misère.
OUI il y en a des raisons pour que vous, madame Castil-
loux de Paspébiac, et madame Leblanc de Nouvelle, vous ayez
toute votre vie vu vos maris contraints à l'exil pour travailler de
la Manie à l'Algérie, de la Baie James au Koweit.
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur Vigneau
de Cap-aux-Meules et monsieur Synott de Rivière-au-Renard,
ayez toujours de la misère à avoir un juste prix pour votre pêche
dans une industrie qui vogue de crise en crise.
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur Bernat-
chez de Grande-Vallée, et monsieur Gallant de St-François, on
vous paye si mal pour votre bois que l'on s'empresse de trans-
porter ailleurs pour le transformer.
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur et
madame Molaison d'Étang du Nord et monsieur et madame
Lelièvre de Grande-Rivière, après avoir élevé vos 12 enfants en
Gaspésie et aux Iles, constatiez qu'aucun n'a pu revenir auprès
de vous faute d'emploi et de possibilités.
OUI il y en a des raisons pour que vous aussi Anglophones
de la Gaspésie, Annett de Gaspé, Beebe de New Carlisle, Taker
de Grosse-Ile, Hayes de Shigawake, Campbell de New Ri-
chmond, Kennedy de Douglastown viviez comme nous les
méfaits de l'exil, du vieillissement et du mal-développement.
OUI il y en a des raisons pour que vous les Amérindiens
de Maria, de Restigouche, vous ne vous sentiez pas heureux
dans votre propre pays.
OUI il y en a des raisons, messieurs et mesdames les
innovateurs, pour que vos projets, vos idées, vos entreprises
aient tant de mal à se tailler une place et se développer comme
ailleurs.
OUI il y en a des raisons pour que vous les travailleurs des
pêches, travailleurs forestiers et agriculteurs, songiez à vous
exiler à la recherche d'un emploi plus stable.
OUI il y en a des raisons pour que vous les jeunes soyez
toujours contraints de vous exiler à cause de l'argent même si
votre cœur vous fait rêver de retour.
Ces raisons, ces causes
Ces raisons, ces causes ce sont toutes ces politiques dites
de développement régional mal fagotté, planifié à la petite
semaine, les pseudo-décentralisations, les programmes gouver-
nementaux sans vision, ni coordination, des normes imposées
sans aucun respect de nos réalités, des applications de politiques
qui génèrent de la dissension plutôt que des retombées écono-
miques, ces faux sommets économiques qui nous font espérer
comme l'âne devant qui l'on met une carotte qu'il n'atteint
jamais, où l'on s'essouffle et désespère.
Ces raisons, ces causes c'est un système économique qui
creuse sans cesse l'écart entre riches et pauvres, entre les ré-
gions riches et les régions pauvres, entre les centres développés
et les régions éloignées.
Ces raisons, ces causes c'est un système politique où les
décisions se prennent toujours ailleurs par des gens qui semblent
incapables de comprendre notre réalité et de répondre à nos
besoins. Et l'on se fait habiller par des gens qui ne se donnent
même pas la peine de prendre nos mesures.
Ce sont aussi nos propres faiblesses, notre esprit défaitiste,
notre acceptation de la pauvreté comme une fatalité inéluctable,
notre perte du sens du travail et du souci de gagner soi-même
sa vie, nos attitudes qui freinent toute volonté de changement
pour un mieux-être individuel et collectif, notre mentalité de
tout niveler par le bas, d'empêcher les initiatives, notre absence
de confiance en nos propres moyens, notre esprit de clocher qui
empêche les solidarités régionales de prendre forme et force,
notre acceptation de la dépendance.
Non. Nous ne sommes pas nés pour un petit pain.
Notre avenir s'écrit SOLIDARITÉ
Qu'on se souvienne de ce que nous étions, depuis des
générations, des gens vaillants, fiers, plein de cœur au ventre,
que le travail ne rebutait pas, accueillants, serviables, généreux,
solidaires, aimant le plaisir de la compagnie, amuseurs, rieurs,
«conteux», musiciens, chanteurs, fiers de nos origines et de nos
appartenances.
Ce que nos ancêtres ont été, nous sommes encore capables
de l'être. C'est pourquoi devant ces faits, nous sommes convain-
cus que notre seule solution, notre seul avenir doit d'abord
naître de nous-mêmes. Inutile d'attendre que quelqu'un vienne
de l'extérieur pour nous sauver. Notre développement ne procé-
dera que d'un immense effort collectif. Le maître-mot de notre
avenir s'écrit SOLIDARITÉ.
Nous sommes comme ces citoyens de Saint-Siméon de
Bonaventure qui lors de la création de leur paroisse-village en
1914 avaient formulé comme devise pleine d'avenir UNITÉ —
TRAVAIL — DIGNITÉ. L avenir de notre région repose d'a-
bord sur l'unité, l'unité permet le développement par le travail
et le travail donne la dignité. Cette dignité que nous n'accepte-
rons jamais de nous laisser ravir, ce développement auquel nous
avons droit sans quémander, c'est notre juste part à titre de
citoyens de ce pays.
Nous sommes riches de potentiel
Nous croyons que notre région a un avenir, nous croyons
à notre développement car nous sommes riches de potentiel.
Potentiel humain
Potentiel forestier
Potentiel agricole
Potentiel minier
Potentiel touristique
Potentiel halieutique
Potentiel culturel
Nous avons, pour l'essentiel, des structures, des institu-
tions régionales, nécessaires à notre développement. Nous
avons la volonté collective de les mettre à profit.
Un peu partout en Gaspésie et aux Iles-de-la-Madeleine
on sent, on voit ces volontés.
Il a fallu une attitude très positive, beaucoup de confiance
en soi et en son milieu pour démarrer le projet bleuetière à
Saint-Elzéar.
Il a fallu de l'énergie pour mettre en place des moyens de
transport entre les Iles-de-la-Madeleine et la Grande Terre.
Il a fallu la volonté de s'en sortir pour fonder Val Horizon
2000 à Grande-Vallée.
Il a fallu la détermination d'occuper tout le territoire, de
maintenir vivantes nos communautés pour s'organiser en grou-
pements forestiers.
Il a fallu de la patience pour habiter les Iles où l'on a dû
payer longtemps des droits d'occupation.
Il a fallu être créateur, initiateur et imaginatif pour récu-
pérer les peaux de morue et en faire du cuir fin.
Il a fallu de l'imagination pour créer une usine de compos-
tage pour éliminer les déchets sur le territoire restreint et fragile
des Iles-de-la-Madeleine.
Il a fallu être fier de sa culture, plein de joie de vivre et de
confiance en son talent pour maintenir le succès du Festival de
la Parenté de Petite-Vallée.
Il a fallu une incroyable persévérance, une extraordinaire
ténacité pour ne pas lâcher prise et se battre encore aujourd'hui
pour voir naître l'usine de transformation de poisson à Saint-
Maurice de l'Échourie.
Il a fallu du courage et des discussions pour que les
femmes se taillent une place dans l'agriculture et dans les
pêches.
La Gaspésie et les Iles regorgent d'autres exemples, vous
les connaissez, vous les vivez, multiplions-les.
Pour l'avenir de notre région, nous, de la Gaspésie et des
Iles-de-la-Madeleine choisissons le mieux-être, la qualité de
vie.
Nous disons OUI
Nous disons OUI à un développement durable, à un déve-
loppement bien ajusté à notre milieu.
Nous disons OUI à un développement qui évite le gaspil-
lage des ressources et qui recycle les produits.
Nous choisissons pour l'avenir de produire, en région, la
plus grande quantité possible de produits que nous consommons
en région.
Nous disons OUI à la décentralisation des pouvoirs et des
ressources humaines et financières parce que nous voulons que
les décisions qui nous concernent soient prises en région, par
des gens au fait de nos besoins.
Nous ramènerons chez nous les centres de décisions dans
des institutions ou des structures que nous contrôlons.
Nous remplaçons la normalisation, l'uniformisation par la
régionalisation, la diversité, la moralité.
Nous disons OUI à l'occupation de notre territoire, de tout
notre territoire. Finies les fermetures. Nous voulons être pro-
priétaires de nos ressources, particulièrement la forêt.
Nous disons OUI à une répartition équitable des lieux de
décisions, des infrastructures, des services, des commerces sur
l'ensemble du territoire et non seulement dans certains pôles.
OUI au respect des particularités et des richesses locales.
OUI à la solidarité des gens de toutes les zones d'apparte-
nance.
Nous disons OUI à un avenir où nous serons entrepreneurs
et entreprenants, où nous nous réjouirons ensemble des réussites
individuelles et collectives.
Nous disons OUI à des réflexes d'appartenance, de fierté,
de solidarité, de dignité.
Nous affirmons notre volonté de prendre en main notre
développement.
Nous disons OUI au potentiel des femmes, à leur partici-
pation, à leur présence dans toutes les sphères d'activités: OUI
à l'égalité face à l'emploi, aux services et aux structures de
décision; nous disons OUI à un avenir enrichi par la vision et
l'action des femmes.
Nous disons OUI à cette jeunesse pleine de promesses, oui
à son implication dans la vie collective; OUI à la jeunesse dans
les lieux de responsabilité et de pouvoir.
Nous disons OUI à la valorisation de nos ressources hu-
maines; notre principal atout de développement, c'est nous tous
gens de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine.
OUI à ce potentiel de développement, OUI à la formation,
OUI à l'épanouissement de nos habiletés, de notre savoir faire.
Nous disons OUI à un emploi valorisant pour tous ceux et
celles qui sont disponibles au marché du travail.
Nous disons OUI à la transformation de toutes nos res-
sources en région.
Nous mettons un frein à l'exportation de nos emplois avec
nos produits bruts; OUI à une meilleure mise en marché, OUI à
une approche regroupée et concertée, OUI à la fierté de faire un
produit de qualité et OUI à l'achat chez nous.
OUI au développement intégré de nos ressources.
Nous disons OUI à l'expression de notre culture. OUI à
nos artistes. Nos accents salés témoignent de notre culture
maritime.
OUI à nos différences qui persistent dans notre grande
région. OUI aux accents régionaux. OUI aux différentes cul-
tures acadienne, madelinienne. jersiaise, irlandaise, micmaque
et gaspésienne. OUI aux façons de faire et aux façons de dire
différentes, des jeunes, des femmes, des gens âgés, des gens
actifs, des rêveurs, des réalistes, des artistes.
OUI à la parole.
C'est aujourd'hui
C'est pourquoi aujourd'hui, nous nous levons et debout,
tous et toutes, pour affirmer solidairement notre volonté de nous
en sortir, de dégager des solutions réalistes, innovatrices pour
assurer l'avenir de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine.
C'est aujourd'hui que tout cela débute. Et si nous le disons
haut et fort c'est d'abord pour nous convaincre nous-mêmes,
nous affranchir une fois pour toutes de ce que les autres vont
dire ou vont en penser.
Le Ralliement gaspésien et madelinot nous invite tous et
toutes à un grand projet. Il invite les pêcheurs, les travailleurs
forestiers, les agriculteurs et agricultrices, les jeunes, les ensei-
gnants, les travailleurs sociaux, les retraités, les laissés-pour-
compte, les chômeurs, chômeuses, les assistés sociaux, à bâtir
une véritable politique de développement rural qui soit le réel
reflet de nos espoirs et de nos attentes.
Toutes les idées sont bienvenues. Le projet sera égal à nos
volontés et à nos désirs. Ce vaste projet devra toucher tous les
secteurs et intégrer toutes les sphères d'activités, il devra être
discuté dans tous les villages, être débattu et adopté par toutes
les personnes qui voudront s'y impliquer.
Le Ralliement gaspésien et madelinot nous convie donc à
un vaste remue-méninges collectif.
Ce projet c'est notre avenir que nous prenons en main.
C'est la confiance que nous avons en nous-mêmes.
Aujourd'hui, ici présents, marquant l'avenir d'une pierre
blanche, nous nous engageons à être solidaires, à être tenaces,
à bâtir l'avenir de notre coin de pays avec la même foi et la
même persévérance dont nos mères et nos pères ont fait preuve
pour le bâtir jusqu'à ce jour.
La Gaspésie, le pays intérieur de chacun de nous, patient,
mystérieux, silencieux, inconnu. Le cri tant attendu c'est au-
jourd'hui que nous le lançons. Que son écho se répercute dans
les générations futures, raison de nos combats et de nos espoirs!
NON la Gaspésie ne sera jamais un vaste parc fermé aux
humains.
OUI la Gaspésie sera encore vivante dans les siècles à
venir.
Chandler,
le 26 mai 1991
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