MANIFESTE GASPÉSIEN ET MADELINOT 1991



Document 
Félix Leclerc disait que «le cri qui fera peur à tout 
le monde», c'est de la Gaspésie qu'il viendra. Le 
ralliement gaspésien et madelinot qui a regroupe' 
7 500 personnes à Chandler le 26 mai dernier doit 
déjà donner la frousse et la trouille aux politiciens 
de la région. Le manifeste lancé à cette occasion est 
ici reproduit intégralement (Les sous-titres sont de 
nous). 
Manifeste 
gaspésien et madelinot 
Les 110 000 Gaspésiens, Gaspésiennes, Madelinots, Ma- 
deliniennes veulent leur place au soleil, se développer, être 
heureux dans leur propre pays. Aussi avons-nous décidé qu'il 
fallait que les choses changent. C'est pour cela que nous 
sommes ici aujourd'hui et que nous crions solidairement réunis: 
c'est assez, ça va faire. 
Nous en avons assez 
Nous en avons assez du vidage de notre région et de la 
fermeture tranquille de nos paroisses. 
Nous en avons assez de la 10/42 comme seule politique 
durable d'emploi. 
Nous en avons assez de cette pauvreté dont on nous rend 
coupables en nous faisant l'aumône des miettes du Bien-Être 
social et du chômage, comme s'il s'agissait de subventions 
honteuses. Nous refusons cette mentalité qui nous cloue à l'i- 
nactivité et au silence. 
Nous en avons assez de cette image folklorique du pauvre 
pêcheur péchant dans sa barge devant le rocher Percé comme 
seul reflet de notre réalité. 
Nous en avons assez des politiques de centralisation où 
nous sommes toujours perdants parce que toujours trop loin. 
Nous en avons assez du pillage de nos ressources natu- 
relles. 
Nous en avons assez des multiples coupures dans les 
services publics (le train, la télévision, les bureaux de poste, les 
bureaux gouvernementaux...) 
Nous en avons assez du sous-emploi et du mal-développe- 
ment. 
Nous en avons assez de ces programmes gouvernemen- 
taux où nous ne cadrons jamais parce que nous sommes diffé- 
rents de ce qui a été pensé à Québec ou à Ottawa par des 
ignorants de nos réalités. 
Nous en avons assez de tous ces: «Vous auriez dû faire 
ceci, cela, vous auriez dû être autrement.» 
Nous en avons assez de ces normes de la ville imposées à 
notre région rurale. 
Nous disons NON 
Nous disons NON à ce modèle de développement qui nous 
arrache la meilleure partie de nos ressources au profit financier 
de l'extérieur. 
Nous disons NON à l'attentisme qui ne conduit qu'à la 
paix et au silence des cimetières. 
Nous disons NON à ces tactiques des gouvernements qui 
reportent toujours les échéances de notre développement et 
empêchent la prise en charge. 
Nous disons NON aux solutions miracles qui arriveront 
demain, c'est promis attendez, et qui n'arrivent jamais parce 
qu'il n'y a pas de miracle à attendre. 
Nous disons NON aux coupures, aux amputations, aux 
arrachages que l'on déguise sous le vocable de rationalisation, 
normalisation, planification. 
Nous disons NON à l'acceptation passive d'un étouffe- 
ment lent. 

Oui il y en a des raisons 
Toutes ces situations ont des raisons. 
OUI il y a en a des raisons à la pauvreté, au chômage, à la 
misère. 
OUI il y en a des raisons pour que vous, madame Castil- 
loux de Paspébiac, et madame Leblanc de Nouvelle, vous ayez 
toute votre vie vu vos maris contraints à l'exil pour travailler de 
la Manie à l'Algérie, de la Baie James au Koweit. 
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur Vigneau 
de Cap-aux-Meules et monsieur Synott de Rivière-au-Renard, 
ayez toujours de la misère à avoir un juste prix pour votre pêche 
dans une industrie qui vogue de crise en crise. 
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur Bernat- 
chez de Grande-Vallée, et monsieur Gallant de St-François, on 
vous paye si mal pour votre bois que l'on s'empresse de trans- 
porter ailleurs pour le transformer. 
OUI il y en a des raisons pour que vous, monsieur et 
madame Molaison d'Étang du Nord et monsieur et madame 
Lelièvre de Grande-Rivière, après avoir élevé vos 12 enfants en 
Gaspésie et aux Iles, constatiez qu'aucun n'a pu revenir auprès 
de vous faute d'emploi et de possibilités. 
OUI il y en a des raisons pour que vous aussi Anglophones 
de la Gaspésie, Annett de Gaspé, Beebe de New Carlisle, Taker 
de Grosse-Ile, Hayes de Shigawake, Campbell de New Ri- 
chmond, Kennedy de Douglastown viviez comme nous les 
méfaits de l'exil, du vieillissement et du mal-développement. 
OUI il y en a des raisons pour que vous les Amérindiens 
de Maria, de Restigouche, vous ne vous sentiez pas heureux 
dans votre propre pays. 
OUI il y en a des raisons, messieurs et mesdames les 
innovateurs, pour que vos projets, vos idées, vos entreprises 
aient tant de mal à se tailler une place et se développer comme 
ailleurs. 
OUI il y en a des raisons pour que vous les travailleurs des 
pêches, travailleurs forestiers et agriculteurs, songiez à vous 
exiler à la recherche d'un emploi plus stable. 
OUI il y en a des raisons pour que vous les jeunes soyez 
toujours contraints de vous exiler à cause de l'argent même si 
votre cœur vous fait rêver de retour. 

Ces raisons, ces causes 
Ces raisons, ces causes ce sont toutes ces politiques dites 
de développement régional mal fagotté, planifié à la petite 
semaine, les pseudo-décentralisations, les programmes gouver- 
nementaux sans vision, ni coordination, des normes imposées 
sans aucun respect de nos réalités, des applications de politiques 
qui génèrent de la dissension plutôt que des retombées écono- 
miques, ces faux sommets économiques qui nous font espérer 
comme l'âne devant qui l'on met une carotte qu'il n'atteint 
jamais, où l'on s'essouffle et désespère. 
Ces raisons, ces causes c'est un système économique qui 
creuse sans cesse l'écart entre riches et pauvres, entre les ré- 
gions riches et les régions pauvres, entre les centres développés 
et les régions éloignées. 
Ces raisons, ces causes c'est un système politique où les 
décisions se prennent toujours ailleurs par des gens qui semblent 
incapables de comprendre notre réalité et de répondre à nos 
besoins. Et l'on se fait habiller par des gens qui ne se donnent 
même pas la peine de prendre nos mesures. 
Ce sont aussi nos propres faiblesses, notre esprit défaitiste, 
notre acceptation de la pauvreté comme une fatalité inéluctable, 
notre perte du sens du travail et du souci de gagner soi-même 
sa vie, nos attitudes qui freinent toute volonté de changement 
pour un mieux-être individuel et collectif, notre mentalité de 
tout niveler par le bas, d'empêcher les initiatives, notre absence 
de confiance en nos propres moyens, notre esprit de clocher qui 
empêche les solidarités régionales de prendre forme et force, 
notre acceptation de la dépendance. 
Non. Nous ne sommes pas nés pour un petit pain. 
Notre avenir s'écrit SOLIDARITÉ 
Qu'on se souvienne de ce que nous étions, depuis des 
générations, des gens vaillants, fiers, plein de cœur au ventre, 
que le travail ne rebutait pas, accueillants, serviables, généreux, 
solidaires, aimant le plaisir de la compagnie, amuseurs, rieurs, 
«conteux», musiciens, chanteurs, fiers de nos origines et de nos 
appartenances. 
Ce que nos ancêtres ont été, nous sommes encore capables 
de l'être. C'est pourquoi devant ces faits, nous sommes convain- 
cus que notre seule solution, notre seul avenir doit d'abord 
naître de nous-mêmes. Inutile d'attendre que quelqu'un vienne 
de l'extérieur pour nous sauver. Notre développement ne procé- 
dera que d'un immense effort collectif. Le maître-mot de notre 
avenir s'écrit SOLIDARITÉ. 
Nous sommes comme ces citoyens de Saint-Siméon de 
Bonaventure qui lors de la création de leur paroisse-village en 
1914 avaient formulé comme devise pleine d'avenir UNITÉ — 
TRAVAIL — DIGNITÉ. L avenir de notre région repose d'a- 
bord sur l'unité, l'unité permet le développement par le travail 
et le travail donne la dignité. Cette dignité que nous n'accepte- 
rons jamais de nous laisser ravir, ce développement auquel nous 
avons droit sans quémander, c'est notre juste part à titre de 
citoyens de ce pays. 
Nous sommes riches de potentiel 
Nous croyons que notre région a un avenir, nous croyons 
à notre développement car nous sommes riches de potentiel. 
Potentiel humain 
Potentiel forestier 
Potentiel agricole 
Potentiel minier 
Potentiel touristique 
Potentiel halieutique 
Potentiel culturel 
Nous avons, pour l'essentiel, des structures, des institu- 
tions régionales, nécessaires à notre développement. Nous 
avons la volonté collective de les mettre à profit. 
Un peu partout en Gaspésie et aux Iles-de-la-Madeleine 
on sent, on voit ces volontés. 
Il a fallu une attitude très positive, beaucoup de confiance 
en soi et en son milieu pour démarrer le projet bleuetière à 
Saint-Elzéar. 
Il a fallu de l'énergie pour mettre en place des moyens de 
transport entre les Iles-de-la-Madeleine et la Grande Terre. 
Il a fallu la volonté de s'en sortir pour fonder Val Horizon 
2000 à Grande-Vallée. 
Il a fallu la détermination d'occuper tout le territoire, de 
maintenir vivantes nos communautés pour s'organiser en grou- 
pements forestiers. 
Il a fallu de la patience pour habiter les Iles où l'on a dû 
payer longtemps des droits d'occupation. 
Il a fallu être créateur, initiateur et imaginatif pour récu- 
pérer les peaux de morue et en faire du cuir fin. 
Il a fallu de l'imagination pour créer une usine de compos- 
tage pour éliminer les déchets sur le territoire restreint et fragile 
des Iles-de-la-Madeleine. 
Il a fallu être fier de sa culture, plein de joie de vivre et de 
confiance en son talent pour maintenir le succès du Festival de 
la Parenté de Petite-Vallée. 
Il a fallu une incroyable persévérance, une extraordinaire 
ténacité pour ne pas lâcher prise et se battre encore aujourd'hui 
pour voir naître l'usine de transformation de poisson à Saint- 
Maurice de l'Échourie. 
Il a fallu du courage et des discussions pour que les 
femmes se taillent une place dans l'agriculture et dans les 
pêches. 
La Gaspésie et les Iles regorgent d'autres exemples, vous 
les connaissez, vous les vivez, multiplions-les. 
Pour l'avenir de notre région, nous, de la Gaspésie et des 
Iles-de-la-Madeleine choisissons le mieux-être, la qualité de 
vie. 
Nous disons OUI 
Nous disons OUI à un développement durable, à un déve- 
loppement bien ajusté à notre milieu. 
Nous disons OUI à un développement qui évite le gaspil- 
lage des ressources et qui recycle les produits. 
Nous choisissons pour l'avenir de produire, en région, la 
plus grande quantité possible de produits que nous consommons 
en région. 
Nous disons OUI à la décentralisation des pouvoirs et des 
ressources humaines et financières parce que nous voulons que 
les décisions qui nous concernent soient prises en région, par 
des gens au fait de nos besoins. 
Nous ramènerons chez nous les centres de décisions dans 
des institutions ou des structures que nous contrôlons. 
Nous remplaçons la normalisation, l'uniformisation par la 
régionalisation, la diversité, la moralité. 
Nous disons OUI à l'occupation de notre territoire, de tout 
notre territoire. Finies les fermetures. Nous voulons être pro- 
priétaires de nos ressources, particulièrement la forêt. 
Nous disons OUI à une répartition équitable des lieux de 
décisions, des infrastructures, des services, des commerces sur 
l'ensemble du territoire et non seulement dans certains pôles. 
OUI au respect des particularités et des richesses locales. 
OUI à la solidarité des gens de toutes les zones d'apparte- 
nance. 
Nous disons OUI à un avenir où nous serons entrepreneurs 
et entreprenants, où nous nous réjouirons ensemble des réussites 
individuelles et collectives. 
Nous disons OUI à des réflexes d'appartenance, de fierté, 
de solidarité, de dignité. 
Nous affirmons notre volonté de prendre en main notre 
développement. 
Nous disons OUI au potentiel des femmes, à leur partici- 
pation, à leur présence dans toutes les sphères d'activités: OUI 
à l'égalité face à l'emploi, aux services et aux structures de 
décision; nous disons OUI à un avenir enrichi par la vision et 
l'action des femmes. 
Nous disons OUI à cette jeunesse pleine de promesses, oui 
à son implication dans la vie collective; OUI à la jeunesse dans 
les lieux de responsabilité et de pouvoir. 
Nous disons OUI à la valorisation de nos ressources hu- 
maines; notre principal atout de développement, c'est nous tous 
gens de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine. 
OUI à ce potentiel de développement, OUI à la formation, 
OUI à l'épanouissement de nos habiletés, de notre savoir faire. 
Nous disons OUI à un emploi valorisant pour tous ceux et 
celles qui sont disponibles au marché du travail. 
Nous disons OUI à la transformation de toutes nos res- 
sources en région. 
Nous mettons un frein à l'exportation de nos emplois avec 
nos produits bruts; OUI à une meilleure mise en marché, OUI à 
une approche regroupée et concertée, OUI à la fierté de faire un 
produit de qualité et OUI à l'achat chez nous. 
OUI au développement intégré de nos ressources. 
Nous disons OUI à l'expression de notre culture. OUI à 
nos artistes. Nos accents salés témoignent de notre culture 
maritime. 
OUI à nos différences qui persistent dans notre grande 
région. OUI aux accents régionaux. OUI aux différentes cul- 
tures acadienne, madelinienne. jersiaise, irlandaise, micmaque 
et gaspésienne. OUI aux façons de faire et aux façons de dire 
différentes, des jeunes, des femmes, des gens âgés, des gens 
actifs, des rêveurs, des réalistes, des artistes. 
OUI à la parole. 
C'est aujourd'hui 
C'est pourquoi aujourd'hui, nous nous levons et debout, 
tous et toutes, pour affirmer solidairement notre volonté de nous 
en sortir, de dégager des solutions réalistes, innovatrices pour 
assurer l'avenir de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine. 
C'est aujourd'hui que tout cela débute. Et si nous le disons 
haut et fort c'est d'abord pour nous convaincre nous-mêmes, 
nous affranchir une fois pour toutes de ce que les autres vont 
dire ou vont en penser. 
Le Ralliement gaspésien et madelinot nous invite tous et 
toutes à un grand projet. Il invite les pêcheurs, les travailleurs 
forestiers, les agriculteurs et agricultrices, les jeunes, les ensei- 
gnants, les travailleurs sociaux, les retraités, les laissés-pour- 
compte, les chômeurs, chômeuses, les assistés sociaux, à bâtir 
une véritable politique de développement rural qui soit le réel 
reflet de nos espoirs et de nos attentes. 
Toutes les idées sont bienvenues. Le projet sera égal à nos 
volontés et à nos désirs. Ce vaste projet devra toucher tous les 
secteurs et intégrer toutes les sphères d'activités, il devra être 
discuté dans tous les villages, être débattu et adopté par toutes 
les personnes qui voudront s'y impliquer. 
Le Ralliement gaspésien et madelinot nous convie donc à 
un vaste remue-méninges collectif. 
Ce projet c'est notre avenir que nous prenons en main. 
C'est la confiance que nous avons en nous-mêmes. 
Aujourd'hui, ici présents, marquant l'avenir d'une pierre 
blanche, nous nous engageons à être solidaires, à être tenaces, 
à bâtir l'avenir de notre coin de pays avec la même foi et la 
même persévérance dont nos mères et nos pères ont fait preuve 
pour le bâtir jusqu'à ce jour. 
La Gaspésie, le pays intérieur de chacun de nous, patient, 
mystérieux, silencieux, inconnu. Le cri tant attendu c'est au- 
jourd'hui que nous le lançons. Que son écho se répercute dans 
les générations futures, raison de nos combats et de nos espoirs! 
NON la Gaspésie ne sera jamais un vaste parc fermé aux 
humains. 
OUI la Gaspésie sera encore vivante dans les siècles à 
venir. 
Chandler, 
le 26 mai 1991 

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