Affirmez que vous ne
votez pas en 2015 et il y a de fortes chances qu'on veuille vous
crucifier sur la place publique. On vous accusera de tous les maux.
On vous dira que des gens meurent dans d'autres pays pour s’acquitter
de ce privilège. Le privilège de choisir nos maîtres, une fois aux
quatre ans dans des conditions et à un moment sur lesquels nous
n'avons pas un mot à dire. Quelle chance nous avons !
C'est donc le plus
honnêtement du monde et en connaissance de cause que j'affirme haut
et fort mon refus de participer à cette mascarade qui a assez duré.
Elle durera encore quelque temps, je n'en doute pas. Mais il y a tout
de même quelques signes qui nous indiquent que le système
s'effrite; Donald Trump a une chance d'être élu aux États-Unis,
pendant qu'ici au Canada les trois partis dans la course sont pour
ainsi dire interchangeables.
Si refuser d'aller
voter fait de moi un être ignoble, à l'inverse, quel sentiment
anime la personne qui vote? Plusieurs auteur.e.s se sont déjà
penchés sur le sujet. En voici un exemple;
« À quel
sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir
ce bipède pensant, doué d'une volonté, à ce qu'on prétend, et
qui s'en va, fier de son droit, assuré qu'il accomplit un devoir,
déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque
bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus ?... Qu'est-ce
qu'il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement
qui explique cet acte extravagant ? Qu'est-ce qu'il espère ? Car
enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent
et qui l'assomment, il faut qu'il se dise et qu'il espère quelque
chose d'extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par
de puissantes déviations cérébrales, les idées de député
correspondent en lui à des idées de science, de justice, de
dévouement, de travail et de probité […] Et c'est cela qui est
véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies
les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.
Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu'un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l'écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu'il n'a qu'une raison d'être historique, c'est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.
Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu'un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l'écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu'il n'a qu'une raison d'être historique, c'est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.
Que lui importe que ce
soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la
vie, puisqu'il est obligé de se dépouiller de l'un, et de donner à
l'autre ? Et bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des
préférences, et il vote pour les plus rapaces ou les plus féroces.
Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons
vont à l'abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n'espèrent
rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera,
et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus
moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit
son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »
- Octave Mirbeau, La
grève des électeurs, Le figaro 28 novembre 1888
Quelle est donc cette
noirceur qui nous habite au point de ne pas voir l'artificiel d'une
élection? Ou peut-être voyons-nous assez clairement le jeu et en
bon américain nous disons-nous; « un jour ce sera mon tour! Un
jour je gravirai les échelons et, d'ouvrier, de fonctionnaire, de
petit rien du tout, je deviendrai grand, je serai décideur, j'aurai
du pouvoir ». Il ne faudrait pas alors détruire un système
auquel nous aspirons. C'est une possibilité. Pourtant je doute que
ce soit le cas. Je refuse de croire que nous soyons complètement
inconscients. Nous voyons bien qu'il y a quelque chose qui cloche.
Que ce sont toujours à peu près les mêmes qui s'accrochent au
pouvoir, qui se l'échangent d'élection en élection. De temps en
temps un « petit » trouvera le chemin du parlement, mais
il ne restera généralement pas petit bien longtemps. Peu importe
que la situation soit la même depuis la nuit des temps, qu'on se
fasse fourrer, mentir, abuser ou détruire, nous nous présenterons
au bureau de vote convaincu que c'est la bonne chose à faire.
Une chose à faire!
Comme si voter c'était agir. Alèssi
Dell'Umbria dit; « voter n'est pas un acte, c'est une
délégation de pouvoir ». C'est le contraire d'un acte.
Ironiquement, voter serait s'abstenir d'agir. Ne pas aller voter, si
cela est fait en toute conscience, est en 2015, une action concrète
pour se réapproprier notre pouvoir de vivre dignement et notre droit
d'être à tout moment aussi souverain qu'autrui.
Alexis
de Tocqueville disait en 1840 : « Il est, en effet, difficile
de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à
l'habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien
choisir ceux qui doivent les conduire ». Bien sûr, il y a
longtemps que nous ne nous sommes pas dirigés nous-mêmes et la
route s'annonce difficile pour réapprendre à nous réorganiser
ensemble. Mais puisqu’à l'inverse cette habitude à nous organiser
nous-mêmes nous cause autant de tord dans notre habileté à choisir
ceux qui doivent nous conduire, le choix reste ouvert et la quantité
d'énergie nécessaire pour nous organiser versus celle nécessaire à
nous faire organiser (si l'on compte ce qu'il en coûtera dans
l'ensemble) me semble relativement similaire. Personnellement, je
choisis l'action et c'est pourquoi je n'irai pas voter le 19 octobre
prochain.
Martin
Zibeau
St-Siméon
de Bonaventure, Gaspésie
J'ai hésité mais j'y suis allée ;-)
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